Le nom de code du projet de voiture électrique d’Apple est Titan, et ne pourrait être plus approprié : quelle que soit la façon dont on le formule, l’hypothèse d’un VE conçu et fabriqué par la société de Cupertino fait référence à une entreprise titanesque, tant pour l’énorme effort technologique et industriel requis, que pour les attentes qu’un tel produit est capable de susciter dans le public. Cela fait maintenant sept ans que l’on parle du projet Titan, au cours desquels les rumeurs et les spéculations (Apple ne laisse rien filtrer) sur la façon dont il pourrait s’agir d’une voiture à la pomme se sont succédé, poussées par exemple par une formidable campagne d’achat menée par Cupertino auprès des ingénieurs et des cadres du secteur automobile (avec un intérêt particulier pour la conduite autonome).

Les rumeurs les plus récentes remontent à février et mars de cette année, lorsque la presse coréenne a rapporté la nouvelle (démentie ensuite par les personnes directement concernées) selon laquelle le constructeur coréen Hyundai était sur le point de conclure un accord de 3 milliards d’euros avec Apple pour construire la première Apple Car d’ici 2024-25 (dans les usines de sa filiale Kia). Mais à quoi pourrait et devrait ressembler la voiture électrique alimentée par Apple ? Bien qu’il soit pratiquement impossible de percer le mur du secret de la société de Cupertino, il est toujours possible de spéculer, par exemple sur la façon dont la « culture Apple » pourrait façonner un véhicule électrique potentiellement capable d’influencer l’avenir de l’ensemble du secteur automobile.

Bien comprendre la production automobile

C’est ce qu’a tenté de faire le technologue français Frédéric Filloux, rédacteur en chef de The Monday Note (sur Medium). Dans sa brillante réflexion, il commence par identifier et comparer deux visions et deux façons de comprendre la production de voitures dans l’industrie automobile : d’un côté, il y a la « recette » allemande, suivie par des constructeurs comme Mercedes-Benz, BMW ou Audi, où domine le souci maniaque du détail, l’attention totale à la qualité de chaque pièce, à la façon dont elle est assemblée, et qui, précisément pour cette raison, exige des délais extrêmement longs pour la conception de chaque nouveau véhicule, freine l’innovation, exige des essais sur route très longs, sur des millions de kilomètres, avant qu’une voiture puisse être lancée sur le marché, au nom d’une fiabilité sinon totale, du moins très élevée. D’autre part, il y a le modèle opposé de Tesla, où deux choses comptent avant tout : l’expérience de conduite révolutionnaire induite par l’innovation technologique, et la vitesse à laquelle cette innovation progresse, une mise à jour matérielle et logicielle après l’autre.

Les performances, l’interface, la conduite semi-autonome, la suralimentation et le design passent avant la chasse aux (nombreuses) imperfections, qui seront de toute façon corrigées avec le temps. Et les clients s’en accommodent : ces mêmes acheteurs qui ne toléreraient aucune erreur de la part des constructeurs allemands pardonnent tout à la société d’Elon Musk en échange de voitures qui anticipent la conduite du futur. De quel côté de la barrière Apple va-t-elle se positionner ? Cherchera-t-elle à se distinguer par le souci maniaque du détail auquel elle nous a habitués, en sacrifiant peut-être l’innovation la plus radicale ou, au contraire, suivra-t-elle l’approche (beaucoup plus proche de celle d’une entreprise de technologie) de l’innovation constante, des mises à niveau continues et des corrections en cours ? M. Filloux semble se demander si ce n’est pas la propre culture d’entreprise d’Apple qui lui impose de poursuivre ces deux objectifs simultanément. Si l’entreprise technologique n’est pas presque obligée d’assurer une haute qualité et une innovation rapide et perturbatrice pour rester fidèle à elle-même, ainsi que pour avoir une chance sur un marché hautement concurrentiel.

Une feuille blanche pour démarrer

Surtout si l’on considère qu’Apple part de là, c’est-à-dire pratiquement de zéro : dominant un marché où elle produit et livre des centaines de millions d’iPhones par an avec des marges inégalées, elle devrait immédiatement produire au moins cent mille véhicules électriques par an, juste pour pouvoir dire qu’elle existe dans un secteur aux marges notoirement faibles. À titre de comparaison, Tesla n’a produit que 185 000 unités au premier trimestre de 2021, tandis que Mercedes-Benz en produit en moyenne 2,4 millions par an. En outre, pour réussir, la firme de Cupertino devrait être capable d’adapter son extraordinaire machine de production hypercontrôlée à la fabrication d’un produit complexe tel qu’une voiture électrique.

Ceci, poussant et entraînant probablement une transformation profonde chez le partenaire éprouvé Foxconn, seul capable de suivre le cahier des charges maniaque d’Apple (et en tout cas désireux depuis longtemps de construire une usine sur le sol américain). Tout devrait donc se dérouler pendant qu’Apple développe un produit qui, pour avoir une chance suffisante, devrait « surprendre » un peu « dans tout ce qui va du design aux performances et à la qualité, en passant par le logiciel et jusqu’à l’assistance et de la même manière que vous posséderez une Apple Car« . Il n’est donc pas étonnant que la société de Cupertino y travaille depuis des années dans le plus grand secret : le défi, comme on l’a dit, est titanesque, et le remporter ne semble pas du tout évident.

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